Un rêve envolé - L’implant cochléaire
Depuis avril 2022, à deux reprises, j’ai été confrontée à cette phrase glaçante : “on ne peut plus rien faire pour vous”. Ces mots m’ont, à chaque fois, brutalement ramené à une dure réalité.
La première fois, c’était un médecin ORL de la Fondation Rothschild qui les a prononcés. En juin 2022, après un mois et demi de traitements à base de cortisone et d’antibiotiques, j’ai dû me rendre à l’évidence : ma surdité serait définitive et irréversible. Cette réalité, je l’ai acceptée et niée simultanément. J’ai vécu cette fatalité comme un rite de passage vers une autre version de moi-même. Je ne savais pas encore à quel point elle me transformerait.
Fin juillet, après avoir complètement arrêté la cortisone et terminé mes séances de rééducation vestibulaire, il ne semblait rester plus que ma force et ma volonté pour reprendre le fil de ma vie. J’ai longtemps refusé de croire que je ne pouvais plus être la personne d’avant. Notamment la musicienne, avec ses obligations de tournées et de promotion d’un nouvel album prévu pour novembre, achevé en mars, juste avant que ma vie bascule. Début octobre, je suis partie pour cinq semaines de tournée aux États-Unis. Je savais bien que cela allait être une épreuve mais je me sentais contrainte de continuer ce qui avait été planifié depuis des mois. Juste avant de partir, j’ai revu l’ORL pour un contrôle. Lorsque je lui ai expliqué que mon problème le plus invalidant était désormais l’acouphène dans mon oreille gauche de plus en plus envahissant, il m’a fait passer le questionnaire THI (tinnitus handicap inventory), permettant d'évaluer l’impact de l'acouphène sur la vie sociale. Au vu des résultats, éloquents, l’ORL m’a suggéré que je pourrais être une bonne candidate pour la pose d’un implant cochléaire et m’a prescrit un scanner pour vérifier que mon oreille n’était pas en train de s’ossifier. Selon lui, rien n’était urgent, je pouvais partir en tournée et faire le scanner à mon retour.
Je ne m’étendrai pas sur ces cinq semaines de tournée vécues comme un calvaire. Je n’étais absolument pas préparée physiquement à un tel rythme. Les chargements et déchargements quotidiens du van, les concerts enchainés provoquant des nausées, les acouphènes si intenses que je portais en permanence un bouchon d’oreille protecteur dans mon oreille valide, je m’isolais chaque jour un peu plus du monde réel. J’attendais que chaque jour interminable passe, réalisant de plus en plus que je devais arrêter ma carrière de musicienne, car celle-ci aggravait mon état. Sans la stéréo, je perdais les compétences techniques pour composer de la musique électronique et la jouer sur scène devenait une torture, soulignant tous mes maux : vertiges, surdité, acouphènes, hyperacousie, fatigue…
À mon retour, j’ai passé le fameux scanner. Le verdict tant redouté est tombé : l’ossification de l’oreille était avancée. L’ORL a tout de même envoyé mon dossier à l’hôpital Rothschild, au service des implants cochléaires. En décembre, contre toute attente, j’ai reçu plusieurs rendez-vous pour janvier, afin d’évaluer la possibilité d’une opération. Une lueur d’espoir s’était allumée en moi, mais j’essayais de ne pas trop y croire. Après une série d’examens et de rencontres, mon dossier a été examiné en commission. J’étais partagée entre l’optimisme de ceux qui disaient : “Ils ne vous feraient pas passer tous ces examens si ce n’était pas envisageable” et le pessimisme d’autres : “si votre oreille est en train de s’ossifier, les chances d’opération sont minces”. Puis, soudainement, le rendez-vous et le verdict : “Nous allons tenter l’opération”. La date a été fixée au 31 janvier 2023. Cela semblait si soudain. L’avertissement était clair : l’opération pouvait se solder par un échec. Mais les encouragements de mes proches résonnaient en moi : “ils ne t’opéreraient pas s’ils pensaient qu’il y a très peu de chance de réussir”. Puis, le vendredi précédant l’intervention, l’orthophoniste me présenta mon appareil dont j’avais même choisi la couleur, semblable à celle de mes cheveux. Mon nom figurait sur la boîte. Tout devenait concret et l’espoir grandissait. Les séances de rééducation étaient prises, les prochains mois planifiés.
Le lundi matin de l’opération, je ressentais un mélange de peur et d’excitation. Un nouveau monde, de nouvelles possibilités s’offraient à moi alors même que je pensais que tout était perdu. Cette opération représentait une forme de réversibilité. J’allais peut-être entendre à nouveau, peut-être même que les acouphènes disparaîtraient. Sans m’en rendre compte, j’avais progressivement écarté la possibilité d’un échec. Tout ce chemin parcouru ne pouvait pas être vain. C’était impensable.
En salle de réveil, l’infirmière m’a laissé me rendormir. Exténuée, je me perdais dans mes pensées, imaginant l’implant dans mon oreille, son autre partie sous mon crâne. C’était fait. On m’a ensuite remontée dans une salle et donné à manger. Quelques instants plus tard, la chirurgienne est arrivée avec des nouvelles directes et brutales : “Je suis désolée, je n’ai pas réussi à le poser. J’ai insisté mais je n’ai pas trouvé de passages, votre oreille était trop ossifiée”. Le choc fut immense. Devant elle, j’ai retenu mes larmes, mais une fois seule, un torrent s’est déversé sur mes joues. Il me fallait maintenant me remettre d’une opération inutile et refaire le chemin arrière dans ma tête. Ma vision du futur, complètement faussée, me donnait l’impression d’avoir perdu tellement de temps et d’énergie, bercée par des désillusions et un déni profond. Je ne serais plus jamais celle que j’étais avant. La convalescence avait un goût amer.
Lors de mon retour à l’hôpital, pour le suivi de post-opératoire, j’ai revu tous les acteurs de ces dernières semaines. Personne ne semblait y croire. “C’est la première fois que j’entends qu’ils n’ont pas réussi à poser l’implant”, disaient-ils. C’était tombé sur moi.
C’est alors que j’ai entendu pour la seconde fois cette phrase dévastatrice : “On ne peut plus rien faire pour vous”, prononcée cette fois par la chirurgienne. Elle me suggéra de me tourner vers les médecines alternatives. Avec le recul, je me dis que tout semblait écrit. En tout cas, c’est plus facile de le croire. Car c’est dans cette quête du mieux-être que j’ai découvert un univers jusqu’alors inconnu, et c’est là que j’allais enfin découvrir ma nouvelle voie.