Le début et la fin du silence - Le chemin du deuil et de l’acceptation
En ce jour pluvieux d’automne, je trouve enfin le courage d’écrire ce post que je n’arrête pas de ressasser et de repousser. Je sais qu’il va falloir que je revienne sur des sentiments douloureux et surtout que je me plonge dans cet état d’esprit, cette part d’ombre en moi que j’essaie désespérément d’enterrer. Aujourd’hui je m’autorise à sombrer.
Peut-on accepter la perte d’une partie de soi ? C’est une question que je me pose tous les jours et dont la réponse tend à varier. Dans les premiers mois suivant ma perte d’audition, l’acception chez moi s’est faite sous forme de résilience ; une qualité que je me suis découverte et qui m’a permis de tenir la tête hors de l’eau, même lorsque je savais pertinemment que mon monde était en train de s’écrouler. Cependant, la véritable acceptation, celle de la réalité de ma situation, que les mots “handicapée” ou “malentendante” ne résumeront jamais, reste beaucoup plus difficile à digérer. Le monde est devenu un lieu plus hostile, plus dangereux, et malheureusement, la perte de son fond sonore m’empêche de profiter de sa pleine beauté. Et c’est là toute l’ambiguïté de ma situation : bien qu’étant devenue sourde d’une oreille, les acouphènes ont pris le pouvoir et m’ont privée du silence. Je rêve à la fois du son et de son interruption. Mais aucun des deux n’est désormais possible dans mon oreille gauche. Je pleure la perte de la stéréo. Moi qui en avais fait mon métier, la musique ne me transporte plus comme avant. Elle reste toujours en dehors de moi. Je ne peux plus mettre un casque ou des écouteurs et laisser la mélodie m’emplir la tête et le corps. Peut-on apprécier tout autant une vie avec moins de saveur ?
Le trajet vers l’acceptation semble très long et vallonné. Il faut apprendre à vivre avec cette nouvelle “normalité” et lâcher prise. À quoi cela sert-il de ressasser ce que l’on a perdu ? Se focaliser sur ce que l’on a gagné en chemin permet d’avancer. Dans mon cas, la découverte de moi-même, mes faiblesses mais surtout mes forces, les nouvelles passions, les nouveaux petits plaisirs ont dessiné de nouvelles possibilités. Le plus gros obstacle reste ma confiance en mes capacités. Car avec le handicap, le doute s’installe. Suis-je toujours capable ? Capable de mener à bien mes projets ? Capable de tenir le rythme ? Capable d’aimer cette nouvelle vie ?
Une psychologue m’avait évoqué les étapes du deuil quelques semaines après ma perte d’audition. À l’époque, j’ai cru que ma force et ma résilience m’avaient permis de passer au-delà du processus en un rien de temps. Ce que je n’avais pas compris, c’est que je venais seulement d’entamer la première des sept étapes : le choc et que je m’engouffrais la tête la première dans la deuxième : le déni. J’étais persuadée qu’en suivant à la lettre les exercices et recommandations du kinésithérapeute, mon cerveau, ce champion, allait me remettre sur pied en un rien de temps ! Et que j’allais m’habituer et m’adapter à mon nouvel handicap, qu’il ne changerait pas ma carrière et la trajectoire que j’avais prise. La première fois que j’ai dû composer de la musique à nouveau a été un choc. Tous les sons se mélangeaient et je n’arrivais plus à discerner certains graves. Je n’arrivais plus à comprendre la musique, à savoir si les notes s’accordaient. Passer de deux à une oreille n’est pas aussi simple que couper le son par deux. La compréhension de l’environnement sonore est totalement modifiée. J’ai pu le constater depuis : je suis désormais incapable de discerner d’où proviennent les sons. Si l’on m’appelle, je me retourne dans tous les sens pour savoir d’où viennent les mots. Si je veux traverser la route, je regarde plusieurs fois de chaque côté car je n’ai aucune confiance en ce que je crois percevoir, ni en la direction ni en les distances. L’accumulation de toutes ces petites réalisations m’a ouvert les yeux sur une réalité : je ne serai plus jamais totalement celle que j’étais. Et cette vérité est de loin la plus difficile à accepter.
Les étapes suivantes du deuil sont la colère, la tristesse, la résignation, l’acceptation et la reconstruction. Ce chemin n’est cependant pas linéaire et il n’y a pas de règles. J’ai ressenti ou vécu toutes ces évolutions, mais souvent, je fais machine arrière. Alors que récemment je pensais avoir atteint l’étape de reconstruction, je me surprends à replonger dans d’autres, souvent celles de la colère et de la tristesse. C’est malheureusement le cas à l’heure où j’écris ; les doutes, les frustrations, les peurs prenant le dessus.
J’ai peur. Peur de ne pas ou plus être capable comme je disais plus haut, mais aussi peur de devoir affronter le reste de ma vie en n’étant pas entièrement moi.
Cependant, je reconnais que ce nouvel état m’a ouvert la voie vers de nouveaux horizons, plus en adéquation avec mes besoins. Je me dis souvent que ce qui m’est arrivé n’est certainement pas dû au hasard. Mon chemin vers la guérison m’a permis de découvrir un monde que j’avais très peu exploré jusqu’à présent : les médecines douces et les pratiques de bien-être. L’acupuncture, la psychothérapie traditionnelle et transpersonnelle, la sophrologie, la réflexologie, l’ostéopathie, le drainage lymphatique, le réalignement énergétique et le sport avec le yoga en tête de liste, ont toutes eu des effets positifs dans ma quête de guérison physique et mentale. Je leur consacrerai mon prochain post pour vous donner plus en détail mon ressenti et vous dire ce qui a marché pour moi, en espérant que cela vous donne des pistes pour votre propre chemin vers l’acceptation.