Réapprendre à marcher - La rééducation vestibulaire

Le 5 mai 2022, me voici dans un Uber, direction le kinésithérapeute, pour démarrer ma rééducation vestibulaire. Je ne peux pas marcher sans canne ; tout est confus dans ma tête. On parle de vertiges pour simplifier mais la sensation est difficile à décrire. Ma tête est extrêmement lourde, j’ai l’impression d’avoir du mal à la porter. Avez-vous déjà beaucoup trop bu au point d’avoir cette sensation que le monde tourne constamment et qu’il est impossible de fixer un point sur le plafond ? C’est probablement ce qui se rapproche le plus de ce que l’on ressent lorsque l’une des deux oreilles internes ne fonctionne plus, l’ivresse en moins…

Dans la salle d’attente, j’attends le kinésithérapeute avec une certaine impatience. Je sais que c’est une nouvelle étape pour retrouver une vie “normale”. Le médecin vient me chercher ; son cabinet est au fond du couloir. Il réalise rapidement que mon trouble vestibulaire est avancé, au vu de ma titubation prononcée. Je lui raconte mon histoire, il me fait passer des tests et confirme qu’il va falloir beaucoup de travail… Nous établissons ensemble un plan d’attaque. Il souhaite me voir deux fois par semaine à son cabinet et me donne tout un tas d’exercices à faire chez moi, plusieurs fois par jours, entre les séances. Le premier objectif est de ne plus utiliser la canne d’ici deux semaines. Je comprends qu’il va falloir bouger encore et encore. À cette époque, je dors en moyenne trois heures par nuit à cause de la cortisone et je vis dans une autre dimension. Entre les vertiges et le manque de sommeil, tout ce que je désire, c’est rester couchée, la tête enfouie dans un coussin sur mon canapé. Lorsque mon visage reste immobile, c’est comme si j’oubliais tout, un véritable moment de répit. Mais maintenant, mon cerveau doit s’adapter et cela passe par la vision et les muscles. Je me souviens m’être dit que c’était encore bien ma veine d’avoir un problème de santé où la solution était l’inverse du repos…

De retour chez moi, je mets en place un plan d’action. Je programme même une alarme pour sonner toutes les deux heures afin d’effectuer les exercices recommandés, qui consistent en des mouvements de tête et des changements de direction du regard, plus ou moins rapide. Je marche également de long en large dans mon salon, fixant un point tout en bougeant la tête de droite à gauche. Sur les murs, je colle des gommettes de couleur pour savoir où diriger mon regard, comme dans le cabinet du kinésithérapeute.

Lors de la séance suivante, le kinésithérapeute me demande “Avez-vous déjà pratiqué le yoga ?” La réponse est non. “Il va falloir vous y mettre” me dit-il. Je ne m’y attendais pas. Mais j’étais prête à l’intégrer à mon programme. “Il va aussi falloir commencer à courir” ajoute-t-il. Courir ? Je ne peux pas marcher sans canne, comment courir ? Il m’explique que je vais commencer doucement, d’abord quelques secondes, puis une minute, deux minutes, cinq minutes, entrecoupées de marche. Me voilà repartie avec de nouveaux objectifs, sans savoir à quel point ils allaient manger ma vie.

La première fois que j’ai tenté de courir, j’ai eu l’impression de peser cinq fois mon poids, que le ciel allait me tomber dessus et que j’allais m’étaler de tout mon long. Mais j’ai tenu bon. J’ai persisté chaque jour, un peu plus. Quand j’ai réussi à courir cinq minutes d’affilée au bout d’une semaine, ma fierté était immense. Et j’ai rapidement constaté des progrès. Un mois plus tard, je courais trente minutes chaque matin, en pleine ville. En juillet, au bord de la mer, motivée par la vue et le sentiment retrouvé de liberté, je me suis surprise à courir une heure, ce que j’ai réussi à faire à plusieurs reprises pendant l’été. Je dois préciser que je n’ai jamais été très sportive. Mais ce sentiment de fierté, d’avoir réussi en si peu de temps à me surpasser malgré mes handicaps, m’a énormément soutenue mentalement, m’a aidée dans les épreuves. Car à chaque pas, le monde “saute” violemment et c’est éprouvant. C’est toujours le cas aujourd’hui, bien que la sensation soit atténuée. Avec le recul, je crois que la cortisone m’a beaucoup aidée à cette époque. Car malgré le manque de sommeil, je débordais d’une énergie que j’ai depuis perdue. Aujourd’hui, je continue de courir, mais au delà de trente minutes, cela devient difficile. Comme si mon cerveau ne parvenait plus à compenser et le monde “saute” de nouveau beaucoup trop fort.

Cependant, la plus grande révélation pour moi a été le yoga. J’avais une image un peu élitiste de cette discipline, comme s’il fallait être jeune, belle et riche pour la pratiquer. Ce matin-là, devant mon écran, je lance une vidéo sur Youtube : “30 min de yoga pour débutant”. Je galère, je tombe, je ne peux pas fermer les yeux sans perdre l’équilibre. Je bascule pendant des postures simples, comme celle du Guerrier 2. Mais malgré tout, je me sens forte, combative. Je me reconnecte à un corps qui m’avait complètement échappé. À la fin de cette vidéo, la professeure nous invite à placer les mains en prière devant le coeur pour remercier notre corps. Et je fonds en larmes. Ces trente minutes m’ont demandé énormément d’efforts, au point de trembler de fatigue. Je sais que j’ai encore un énorme chemin devant moi mais j’ai confiance en mon corps et surtout en ma volonté. Je vais y arriver, je vais réapprendre à vivre. Depuis, le yoga m’accompagne presque quotidiennement et est devenu la clé de ma transformation. Je réapprends l’équilibre, bien sûr, mais aussi à m’aimer, à m’accepter et à me recentrer sur moi-même. J’ai réalisé assez rapidement que je m’étais perdue bien avant la maladie. Et malgré toutes les épreuves, c’était une nouvelle chance pour moi de devenir la meilleure version de moi-même, même avec une oreille en moins.

Pour en revenir à la rééducation vestibulaire, j’ai passé beaucoup de temps dans ce cabinet, à réapprendre à me mouvoir à travers un casque virtuel. Mais le plus gros travail a été à l’extérieur. Et malgré toute la bonne volonté que j’y ai mise et les mises en garde du kinésithérapeute sur le temps aléatoire que peut prendre le cerveau pour se réadapter, j’étais persuadée qu’en très peu de temps je serais de nouveau sur pied. J’aurais voulu être beaucoup plus consciente à l’époque que cela prend énormément de temps. Cela fait un an et demi que tout a commencé, et je sais qu’il reste encore un long chemin à parcourir. Et même si j’ai bien compris que je ne serai plus jamais comme avant, le “nouveau normal” reste difficile à accepter. J’arrive maintenant souvent à oublier qu’il y a quelque chose qui “cloche” dans ma tête. Mais une mauvaise nuit, un chemin accidenté, un escalier trop étroit, un sac un peu lourd, et tout me revient. Le kinésithérapeute m’avait dit : “ce qui est injuste dans votre cas, c’est que le sport ne va pas vous permettre d’améliorer votre état, mais simplement de ne pas régresser”. J’ai compris qu’il me fallait adopter un nouveau style de vie, plus actif et plus sain, pour que les jours où “j’oublie” deviennent ma nouvelle normalité.

Précédent
Précédent

Le début et la fin du silence - Le chemin du deuil et de l’acceptation

Suivant
Suivant

1er avril 2022 - Le dernier jour d’une autre vie